Comment la terreur de l’urssaf m'a conduite à vendre mes bijoux de famille

Avec l’urssaf, je n’ai pas joué, mais j’ai perdu.

Si vous atterrissez sur ce blog pour la première fois, je me présente : Nathalie d’Apt (84), 55 ans, cheffe d’entreprise (01.10.2010) et liquidatrice (09.08.2023). 

J’ai décidé de lancer un collectif pour recueillir la parole des « liquidés oubliés » et leur donner des tuyaux précieux (et introuvables) afin de liquider au mieux leur entreprise s’ils/elles y sont contraint·es mais aussi de se refaire une santé après.

Je commence par une tranche difficile de la narration : les 3 mois qui ont précédé ma décision de mise en cessation de paiement de mon entreprise en vue de sa liquidation judiciaire.  

Mon passage au tribunal de commerce a eu lieu le 9 août 2023.

Ma décision de mettre l’entreprise en cessation de paiement, je l’ai prise le 14 juillet 2023 (fête nationale). L’Urssaf Paca a commencé à me terroriser le 4 mai 2023 (anniversaire de mon fils). 

Je n’ai plus dormi ou presque entre le 4 mai et le 3 juin 2023, date à laquelle j’ai vendu tous mes bijoux de famille.

Durant ces quatre semaines, entre le 4 mai et le 3 juin, j’ai vécu dans la terreur de l’urssaf : appels incessants, injonctions de payer, relances sur l’espace intranet, courriers menaçants, passages d’huissiers de justice et lettres en recommandé. L’horreur. 

Cette pression brutale, inattendue, imprévisible tranchant sans préavis avec le discours “nous soutenons nos entreprises” des années COVID, m’a saisie de plein fouet : ni DAF, ni experts comptables, ni tweets, ni newsletters de mon syndicat professionnel, la CPME, ni articles de presse ne m’avaient avisée que l’Urssaf avait resserré la vis (pour reprendre l’expression des agents qui se succédaient au téléphone) à ce point.

Je n’étais pas préparée, personne ne l’était autour de moi, le ton avait changé et je ne l’avais pas vu venir. Un peu comme dans un contexte de violences conjugales : l’instant d’avant, on fait confiance. L’instant d’après, c’est la menace à l’arme blanche.

Je crois que j’étais un peu sidérée de l’inflexibilité nouvelle (ou retrouvée) de l’Urssaf. Qui a donné le Go pour ça ? A quel niveau ça s’est joué ? A quelle date surtout ? Et dans quel silence assourdissant ? 

Fin 2022, les syndicats patronaux étaient alors focus sur la crise énergétique qui allait toucher de nombreuses industries et artisans. Mais sur le durcissement des positions de l’Urssaf dans le recouvrement de leurs créances, non. Pas de souvenir en tous cas, même si l’engagement de la présidente de la CPME13, Corinne INNESTI, Expert Comptable, a toujours été infaillible auprès des entrepreneurs des Bouches du Rhône. Et à mes côtés aussi. Mais là-dessus aussi, je reviendrai dans un prochain article.

En tous cas, j’en ai fait les frais, de ce durcissement.

Suis-je la seule ? Combien êtes-vous à vous être pris de plein fouet ce volte-face brutal de l’Urssaf ? 

Entre novembre 2022 et mai 2023 : le ton de l’Urssaf est passé de “compréhensif” à “autoritaire” voire “terrorisant”.

Il fallait payer, et vite. Et pas d’étalement possible de la dette. Pourquoi ? Eh bien pour un principe simple : 

“Nous n’accordons pas de délais de paiement des cotisations sociales tant que la part salariale n’a pas été payée en totalité. C’est un principe incontournable.”

Cette part salariale, pour nous, était de 8000 €. J’avais donc 8000 € à payer sous 8 jours, j’en étais avisée le 4 mai, par e-mail. C’était le jour des 24 ans de mon fils, je m’en souviens précisément, comme de toutes les dates.

J’ai alors tout essayé : j’ai payé une petite partie (500 €), fait des recommandés, demandé une nouvelle fois l’intervention de la présidente de la CPME13, Corinne Innesti, qui n’a jamais ménagé sa peine. Elle est une nouvelle fois intervenue auprès du Directeur Général de l’Urssaf, Franck BARBE. Mais la réponse venait de bien plus haut que lui, semble-t-il.

Réponse constante : “Vous avez 8000 € à payer sous 8 jours. Sans cela, nous n’étalerons pas votre dette”.

Moi : « Et donc, vous allez m’obliger à mettre mon entreprise en cessation de paiement ? »

L’agent : « C’est vous qui voyez. Vous avez huit jours pour payer ». 

A force d’insistance, j’ai obtenu 3 semaines de rab. Nous étions début juin. Je ne dormais plus ou très peu. 

Personne dans l’équipe n’était au courant : nous avions nos clients, nos zooms quotidiens, nos ponts du mois de mai à gérer. Dans une petite structure, c’est le•la boss qui assure les ponts. Et tout le reste aussi, mais dans le silence absolu. J’avais les viscères tordues, personne ne savait. Pas même mes enfants, ni mes clients bien sûr, ni la plupart de mes proches. Marie-Laure, Fred, les deux Corinne (la DAF et l’Expert Comptable) : ils•elles étaient quatre à savoir. C’est tout. 

Nuit et jour, je cherchais des solutions. Mais je ne voulais pas emprunter d’argent. A personne. Plus jamais, croyais-je (c’était faux). Et cela aussi, je l’évoquerai dans un article : le rôle des banques et celui des ami·es.

C’est lors d’une nuit d’insomnie, devant le miroir de la salle de bain, que la solution m’est apparue : il y avait là, sur le rebord du lavabo, une bague. C’était une toute petite bague en or que je portais, avec le temps, au petit doigt. Elle était dotée d’une émeraude minuscule offerte pour mes 12 ans par ma grand-mère maternelle, celle que je considérais comme ma mère. 

Ma grand-mère marseillaise originaire de Pieve en Corse (dont elle portait le nom) avait atterri, adolescente, dans le quartier du panier à Marseille. Elle n’était ni riche ni commode, elle était aimante. Son cadeau était symbolique. 

N’empêche, il valait son pesant d’or. Quelques grammes à peine. 

Cette bague, je ne l’ai plus. Elle me manque (ou bien est-ce ma grand-mère ?). 

L’idée de rassembler ce que comptait d’or mon “trésor” de famille, tout maigre pourtant, m’a alors traversé l’esprit : je me suis précipitée sur la balance de cuisine. Il devait être 3 ou 4h du matin, j’ai rassemblé ancienne alliance, gourmette de naissance, colliers divers offerts au fil des ans et j’ai pesé à la virgule près : 

68,9 grammes d’or poinçonné.  Environ 2500 € au cours de l’or.

Si j’évoque ce sujet difficile publiquement aujourd’hui, dans cet article, ça n’est pas pour le pathos, mais pour illustrer la pression qu’exerce l’Urssaf désormais sur les petits chefs des petites entreprises dès le premier salarié.  

Une somme de pressions que la société devrait leur reconnaître comme des “circonstances de courage” et ne pas reléguer comme elle le fait aux oubliettes du mépris.

Beaucoup d’entre vous se reconnaîtront : parmi vous, certain•es ont connu la fin difficile de leur “bébé” (entendez leur entreprise). D’autres enchaînent succès sur succès. Et pourtant, aucune différence entre ces deux catégories de petit·es entrepreneur·es : des grands succès aux petits échecs (et inversement), il n’y a qu’un pas. 

L’équilibre instable d’une trésorerie capricieuse constitue la vie d’une petite entreprise, du début jusqu’à la fin, je ne vous apprends rien. Mais la menace la pire en cas de difficultés de paiement, c’est l’Urssaf qui l’exerce. 

Ni les fournisseurs en retard, ni même les impôts, n’ont exercé ne serait-ce qu’un dixième de la pression exercée par l’Urssaf. Et comme je n’ai jamais rien lu de pareil nulle part dans la presse, j’ai souhaité le raconter pour les autres, celles et ceux qui sont encore dans le collimateur. 50 000 entreprises françaises auront déposé le bilan en 2023, soit une centaine par semaine. Combien d’histoires comparables à la mienne ?

Je m’étonne d’une chose : pourquoi le taux de TVA, s’il dépend d’un produit à un autre, n’est pas indexé sur la taille de l’entreprise ? Et le pourcentage des cotisations sociales : pourquoi est-il fixe ? Comment se fait-il que les Grandes Entreprises ne cotisent pas plus que les toutes petites entreprises, en pourcentage j’entends (autant qu’en valeur absolue bien sûr), puisqu’elles en ont, elles, les moyens ?

Bref. J’ai nourri la bête : j’ai vendu mes bijoux le 3 juin 2023, j’ai déposé le chèque, et j’ai effectué à l’Urssaf un virement quasi immédiat. La bête a avalé ma petite émeraude.

Au-delà des bijoux, j’avais gratté les fonds de tiroirs en vendant une montre que mon ex mari m’avait offerte (et qui était destinée à mes enfants). J’avais rassemblé 5500 €.  Il manquait donc 2500 € sur les 8000 € que me réclamait la bête au titre des cotisations sociales salariales. 

J’étais certaine que l’Urssaf consentirait à examiner mon cas et ne me contraindrait pas à fermer ma boîte pour 2500 €. C’est pourtant ce qui s’est passé. 

Cela ne suffisait pas. L’agent en charge de mon dossier a été formel. Corinne Innesti est remontée au créneau, inépuisable, auprès des plus hautes sphères de l'Urssaf de la région. Elle non plus, n’y pouvait rien. Ni Corinne, ni la Direction Générale de l’Urssaf, ni ma grand-mère (!). C’est en tous cas ce qui lui a été répondu.

Était-ce vrai ? 

J’espère que l’Urssaf Provence nous éclairera sur sa position sous cette publication. Qui est responsable de la terreur que j’ai subie : l’Urssaf trop inflexible à son niveau ou le gouvernement trop inflexible vis-à-vis de l’Urssaf ? 

Il fallait 8000 €. J’avais rassemblé 5500 € en un mois. Il manquait 2500 €. 

Les menaces de l’Urssaf après s’être calmées quelques semaines, ont repris vers la mi-juin. A coup de saisies à tiers détenteur sur le compte bancaire de l’entreprise, cette fois.

Ça envoyait du lourd.

Alors j’ai fait comme je faisais au tennis, quand je voulais faire une perf et que l’adversaire était trop forte : je me concentrais, je soufflais, je rugissais et souvent, ça marchait, je gagnais. 

J’ai donc inspiré, mais chez ma psy, cette fois. C’était le mercredi 14 juin à 12h22 (j’avais regardé l’heure, j’en ai un souvenir très précis) : 

Ma psy m’a posé une question simple : “Et si vous arrêtiez ?”

En sortant de chez elle, chez qui j’ai été traversée, ces dernières années, de tant de prises de conscience, la décision était prise : je n’allais pas laisser ma santé à l’Urssaf (ni au gouvernement). J’ai appelé Marie-Laure, l’amie de confiance, toute choquée (elle, mais moi aussi) d’avoir pris une telle décision : “Je vais déposer”. 

Le mercredi 14 juin à 12h22, c’est à dire exactement 11 jours après avoir vendu ma petite émeraude, j’ai pris la décision que prend trop rarement une femme victime de violences conjugales : j’ai dit cette fois, ça suffit. 

Urssaf, sors de ma vie. C’était faux car comme je l’écrirai dans un prochain article, l’Urssaf salariés gère depuis peu l’Urssaf non salariés (anciennement RSI) qui a les mêmes méthodes de terreur et prend le relais après la liquidation judiciaire. Un régal. Je vous raconterai.

Et j’ai déposé deux mois plus tard, le 9 août 2023. 

J’ai informé « mes » deux Corinne, Corinne 🎯 LECOCQ (ex LE CAHAREC) ma DAF exceptionnelle, Corinne INNESTI, mon Expert Comptable émérite. Elles m’ont accompagnée à faire les choses bien. 

Durant les deux mois qui ont suivi la vente de mes bijoux, ces deux Corinne ne m’ont jamais lâchée. Je reviendrai sur les démarches précises qu’il m’a fallu accomplir avec elles durant ces deux mois. 

J’étais seule à le savoir dans l’entreprise. 

Le prochain article, mardi prochain, abordera cette partie si délicate de la décision d’une liquidation d’entreprise. 

Il s’intitule : “Comment j'ai dit sans le dire à mon équipe que j'allais liquider l'entreprise”.

Suite au premier article rédigé la semaine dernière, (https://www.nathaliedapt.fr/blog/tout-ce-que-vous-avez-toujours-voulu-savoir-sur-la-liquidation-judiciaire-d-une-entreprise-sans-jamais-oser-le-demander), j’ai reçu en commentaire de nombreux encouragements, quelques condoléances et de fabuleux témoignages . 

Le mot “courage” est revenu souvent, saluant cette qualité que je partage avec beaucoup d’entre vous.

Mais je vous assure qu’en rédigeant ces lignes, c’est la tristesse qui domine, le regret et une certaine forme de colère de m’être laissée intimider par l’Urssaf au point d’y avoir laissé ma petite bague émeraude.

La fin aurait été la même si je n’avais pas vendu mes bijoux. J’ai gagné deux mois de plus, certes, mais j’ai perdu ma petite émeraude.

En septembre 2023, le gouvernement persistait encore, sur les ondes des médias mainstream, dans son discours « nous soutenons les entreprises ». C’est faux. Tellement faux. Ou bien pas toutes les entreprises. Pas les petites.

En septembre 2022, je me suis souvenue avoir lu dans la tribune un article où le patron de l’ Urssaf Caisse nationale, Yann-Gael Amghar, se disait “confiant” de recouvrer les 18 milliards de dettes des entreprises envers l’Urssaf (*). 

Confiant ou inconscient ?

A mardi prochain,

Nathalie d’Apt.

(*) https://www.latribune.fr/economie/france/la-dette-covid-des-entreprises-a-l-egard-de-l-urssaf-s-eleve-encore-a-18-milliards-d-euros-yann-gael-amghar-dg-933438.html

📸 Crédit photo Yellow Studio by Christine Criscuolo https://ccyellow.photo/

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